Biographie de Jacques Linale (30 juillet 1922 – 22 octobre 1941)
écrite par Mr Jérôme CALVANI, son petit-neveu :
Mon grand-oncle Jacques est né au domicile de ses parents, comme cela se pratiquait à l’époque dans les couches populaires, le 30 juillet 1922, plus précisément au 23, rue Beauregard, dans le quartier du Panier, à Marseille (Ier arrondissement).
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La rue Beauregard, surnommée rue « rompe-cul » par ma grand-mère Marie et ma grande tante Juliette, à cause de son fort dénivelé, dans le quartier du Panier, à Marseille. La rue était moins fleurie et moins pimpante à l’époque du récit (les années 1930) …
Il est le huitième enfant d’une fratrie de cinq frères et cinq sœurs, dont Marie (1917- 2017), sa sœur ainée et ma grand-mère paternelle.
Son père, Joseph Marie Linale, né le 15 mai 1881 à Bastia, a émigré à Marseille pour y exercer le métier de docker. Sa mère, Herminie (version Corse de Hermine) Mathilde Fabiani, née le 8 aout 1882 à Sartène, est femme au foyer (et le travail ne devait pas manquer !).
La vie est difficile en ce temps-là, mais ma grand-mère me racontait toujours que malgré la pauvreté, le bonheur et la joie de vivre étaient présents au foyer.
Dès son jeune âge, mon oncle Jacques se révèle d’une solide constitution héritée de ses parents et d’un caractère bien trempé. Prompt à défendre avec ses poings ses frères et sœurs contre les autres chenapans du quartier (et quel quartier me direz-vous ! Une pépinière de futurs truands de haut vol, mais pas que, la preuve…), son tempérament généreux et entier ne laisse personne indifférent : il est vrai qu’il déteste l’injustice et la méchanceté et qu’il n’use de sa force et de son courage que pour la bonne cause…
Vous vous doutez bien qu’avec le tempérament bouillant qui est le sien, mon oncle s’ennuie un peu à l’école primaire, même beaucoup… il rêve d’aventures, de pays lointains et Dieu sait que Marseille dans les années 1930 lui offre matière à l’imagination et au dépaysement : songez à tous ces marins, marsouins de la Coloniale et autres aventuriers de l’immense empire que possédait alors la France, qui se croisaient, parfois dans une liesse enivrée, souvent dans la confrontation, sur ses quais, dans ses ruelles, dans ses lupanars aussi et qui, riches de leurs souvenirs d’expéditions passées, évoquaient dans leurs récits des terres exotiques, paradisiaques et riches de promesses d’une vie meilleure, pour qui aurait le courage de partir et d’affronter mille dangers…
Nous sommes en 1937, mon oncle a désormais 15 ans et il a fait son choix : il sera marin de commerce au long cours. Avec l’accord de ses parents, il signe le 10 aout de la même année, un contrat d’engagement comme marin au long cours (livret professionnel n° 39 618) auprès de la Société Générale des Transports Maritimes (SGTM) , laquelle arme plusieurs paquebots assurant la ligne d’Amérique du Sud au départ de Marseille. Et c’est sur l’un de ces paquebots, le Campana, que mon oncle commence sa carrière de marin.
Parlons-un peu si vous le voulez bien, de « son » paquebot : le Campana est une unité récente, lancée le 11 juin 1929 aux chantiers Swan Hunter à Walker on Tyne au Royaume Uni. D’un port en lourd d’environ 11 000 tonnes pour 161 mètres de longueur hors tout et 20 mètres de large, c’est un paquebot mixte mis en œuvre par un équipage de 160 hommes, assurant à la fois le transport de passagers, du migrant au grand bourgeois international (1 307 : 105 en première classe, 152 en seconde, 320 en troisième et 820 dans l’entrepont…) et de fret. Pendant 11 ans, de son entrée en service à 1940, il assure en vingt jours de mer environ (quarante aller-retour) la ligne dite d’Amérique du Sud, qui débute à Marseille, rallie Gênes (Italie), Dakar (alors capitale de l’Afrique Occidentale Française, ou AOF), Rio de Janeiro et Santos (tous deux au Brésil, le second étant alors le plus grand port caféier de l’époque, il est aujourd’hui le port de la capitale Brasilia), Montevideo (Uruguay) et enfin Buenos Aires (Argentine), son terminus.
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Le paquebot Campana dans les années 1930, sous les couleurs de la SGTM
Je ne détiens aucune information sur cette époque de la vie de mon grand-oncle, mais je suppose qu’elle fut sans aucun doute la plus intense (on ne chômait certainement pas à bord), mais aussi la plus heureuse et insouciante de sa vie, hélas trop courte.
La déclaration de guerre le 1er septembre 1939 et la mobilisation générale qui s’ensuit l’épargnent (provisoirement…) pour deux raisons : son jeune âge (il n’a pas 18 ans) et la volonté des gouvernement Français et Britannique de maintenir ouvertes les lignes maritimes afin de garantir l’approvisionnement sur le long-terme de la métropole et de sa population et ainsi, bien à l’abri de la ligne Maginot, attendre l’asphyxie de l’Allemagne nazie…c’était le plan initial, on connait la suite.
Puis vient la dernière rotation du Campana, entretemps affecté partiellement au transport de troupes. Ce voyage a lieu en pleine débâcle. On peut ressentir toute la tension nerveuse qui régnait durant ces quelques jours de la fin mai-juin 1940, à travers les notes jetées par mon grand-oncle dans son carnet de voyages (je le cite) :
« Parti de Marseille le 28/05/1940 pour Oran pour y débarquer 1600 hommes de troupe, arrivée à Oran le 30/05/1940.
Départ d’Oran le 30/05 à 2h de l’après-midi en direction de Casablanca arrivée à Casablanca le 02/06 à 5h du matin reparti aussitôt pour Dakar arrivée à Dakar le 06/06/40.
Parti de Dakar le 06/06/40 à 6h du soir pour Rio de Janeiro. Arrivée à Rio de Janeiro le 14/06/40 à 8h du soir.
Parti de Rio de Janeiro pour Santos le 15/06/40 à 10h du soir. Arrivée à Santos le 16/06/40 à 6h du matin. »
Là s’arrêtent les notes de mon grand-oncle. Le Campana se trouve à Buenos Aires à la proclamation de l’armistice, le 25 juin 1940.
Pour rappel, le désastre de Dunkerque avait pris fin le 4 juin, les lignes françaises sont enfoncées le 10, Paris déclarée ville ouverte le 14, la demande d’armistice du Maréchal Pétain, chef du dernier gouvernement de la IIIème République formulée le 17, l’armistice avec l’Allemagne signé le 22 et prenant effet le 25, en même temps que celui signé avec l’Italie.
Mon grand-oncle ne mentionne pas l’appel du 18 juin, sans doute n’en a-t-il eu connaissance que bien plus tard. A quel moment ? Cela demeurera un mystère.
Voilà donc mon grand-oncle au mouillage de Buenos Aires, sur le Campana, bien loin de la France. Je ne possède aucun élément sur la période courant de la fin juin à début octobre 1940, de ce fait je ne peux que tenter d’imaginer ce que furent ces trois mois et demi d’ennui, d’inquiétude sans nouvelle des proches, d’hésitation aussi.
Que faire, demeurer loin de la métropole, à l’abri et attendre que la tempête passe, tout en se morfondant ? Après tout, nombre de personnalités françaises ont passé les quatre années de l’occupation aux Etats-Unis ou ailleurs, loin des champs de bataille… Ou au contraire, plonger tête la première dans la bagarre, quitte à tout perdre, y compris la vie ?
Le 9 octobre 1940, laissant derrière lui le Campana , sa décharge de marin obtenue, mon grand-oncle se présente au Consulat britannique de Buenos Aires pour obtenir un « emergency certificate » qui lui permet d’embarquer à bord du paquebot « Highland Princess », destination le Royaume-Uni. Il débarque à Bristol le 24 novembre 1940 et le 27 novembre il signe devant l’intendant de 2ème classe Menguy son contrat d’engagement dans les Forces Françaises Libres, sous le numéro 930, pour la durée de la guerre « actuellement en cours ».
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Le contrat d’engagement dans les FFL de mon grand-oncle Jacques Linale
A noter que dans le « Soldier’s paybook » de mon grand-oncle, document administratif de synthèse issu de l’administration militaire britannique et dupliqué par les FFL, la durée du contrat d’engagement est modifiée comme suit « pour la durée de la guerre plus trois mois ».
Comment mon grand-oncle s’est-il retrouvé affecté au sein de la 1ère Compagnie d’Infanterie de l’Air et donc dans l’armée de l’Air ? Tout simplement par acte de volontariat, car son passé professionnel aurait dû plutôt logiquement le conduire à une affectation au sein des Forces navales Françaises Libres (FNFL), sous les ordres de l’amiral Muselier.
A partir de là commence pour mon grand-oncle la séquence du long, pénible et dangereux entrainement de parachutiste commando au Royaume-Uni, dont je ne peux hélas que mentionner une seule date, en me basant sur son « Soldier’s paybook », signé par le Cne Bergé pour la page considérée : l’attribution de son brevet parachutiste n°457 le 20 février 1941 (et non le 10 avril 1941, comme mentionné sur le brevet officiel du Ministère de l’Air établi en 1945), sur la base de la Royal Air force (RAF) de Ringway, dans le Cheshire, près de Manchester. Mon grand-oncle a suivi sa formation au sein de la « N°1 Parachute Training School RAF », en charge de la formation de tous les parachutistes alliés et du « Special Operations Executive » (SOE) Britannique durant la seconde guerre mondiale. La base est depuis devenue l’aéroport de Manchester… Et c’est durant cette période éprouvante, où la solidarité entre camarades est indispensable pour tenir le choc, qu’il se lie d’amitié avec un autre volontaire, à peine plus vieux que lui, un certain Gaston Klinckemaille, né à Loos (banlieue de Lille) le 20 novembre 1941, breveté à Ringway sous le n°444, certainement le même jour que mon grand-oncle, donc lui aussi concerné par l’erreur de retranscription de date.
Désormais, ce sera à la vie, à la mort… Je possède une photo de ces deux frères d’armes, le Ch’timi et le Marseillais, datée de juillet 1941, posant devant un charmant petit cottage anglais, dans la banlieue de Londres. C’est le calme avant la bataille.
Puis, à la fin du même mois, débute le long périple maritime qui conduira son unité du Royaume Uni à la Syrie, en passant par Gibraltar, le golfe de Guinée, l’Afrique du Sud, l’Afrique orientale, pour enfin débarquer probablement en Jordanie, au fond du golfe d’Aqaba, aux alentours du mois de septembre 1941.
A son arrivée, son unité, qui prend provisoirement le nom de Peloton Parachutiste du Levant (PPL), est envoyée en Syrie, sous le contrôle des alliés depuis la défaite des forces de Vichy en juillet 1941. Elle y restera jusqu’au mois de décembre 1941, date à laquelle elle rejoindra enfin le front égyptien, sous le nom de 1ère compagnie de chasseurs parachutistes (1ère CCP) pour débuter la grande épopée des SAS, mais cela mon grand-oncle ne le verra pas…
Le narratif qui va suivre est tiré des recherches menées par Mr Yves Morieult et publiées le samedi 1er juin 2013 sur le site « Mémorial des Français Libres de juin 1940 à juillet 1943 ». Qu’il en soit ici remercié.
Pendant son séjour en Syrie, le PPL est stationné sur l’aérodrome de Damas-Mezzé. Problème, pas un seul parachute n’est disponible sur le territoire !
Alors, comme à leur habitude, avec l’ardeur et la foi qui les caractérisent, les Français Libres improvisent, se débrouillent. Et trouvent…
Sur la même base est stationné le groupe de bombardement n°1 des Forces Aériennes françaises Libres (FAFL), en cours de montée en puissance. Avec les quelques vieux avions disponibles (la plupart ont participé à la campagne de ralliement des colonies françaises d’Afrique et à l’épopée de la colonne Leclerc avec le raid sur Koufra en février 1941), des vols d’accoutumance sont organisés au profit des parachutistes français.
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Bristol Blenheim mk IV en formation
Et ce jour-là, le 22 octobre 1941, mon grand-oncle participe à la séance d’entraînement, organisée autour de cinq vols sur Bristol Blenheim (un bombardier moyen anglais, au fuselage très étroit) emportant 2 à 3 parachutistes par rotation. Il réalise son vol d’accoutumance avec deux autres camarades, sans souci. Puis vient le tour de Gaston, qui a un mauvais pressentiment (nb : cet élément m’a été rapporté par ma grand-mère, qui le tenait des camarades de mon grand-oncle et qui lui ont raconté la scène, après la guerre). Aussi, mon grand-oncle se propose de l’accompagner avec un autre camarade, le caporal Pierre Paul Provot, né le 13 juillet 1920 à Sarrebourg en Moselle. Le moteur droit de l’avion utilisé pour les vols commence à donner des signes de faiblesse. Le directeur des vols, le Cne Roques, décide d’achever la séance : après tout, c’est la dernière rotation du jour. Mais il demande cependant au pilote, le lieutenant Daniel Neumann, d’être vigilant.
Le vol débute normalement, se poursuit par un passage à vol rasant au-dessus de l’aérodrome, puis, après un virage à droite, s’achève tragiquement : le moteur droit cale au pire moment, faisant tomber l’avion comme une pierre.
Le destin est parfois bien cruel.
Les trois parachutistes sont tués sur le coup (il faut s’imaginer qu’ils n’étaient pas assis sur un siège ni sanglés, certainement installés à même la carlingue dans le nez vitré de l’avion) et le pilote n’est retiré de l’épave que pour expirer quelques instants plus tard.
Je terminerai mon récit en rappelant le chagrin éprouvé tout au long de sa vie par ma grand-mère et ma grande tante, ses sœurs, ainsi que tous les autres membres de sa famille, ma famille, que je n’ai pas connus pour la plupart.
Pourtant, malgré le chagrin, ce n’était pas et ce ne sera jamais une victime.
Mon grand-oncle Jacques a vécu sa vie en homme libre, il a accompli son destin et quand bien-même celui-ci fut tragique, il n’en demeure pas moins auréolé de la gloire du héros éternel qui donne sa vie pour les siens et sa patrie. Pour cela, je l’admirerai jusqu’à ma mort.
En guise de conclusion, je laisserai la parole à Mr de Villedeuil, président de l’Association des Français Libres (AFL), qui, dans son discours du 15 octobre 1954, à l’occasion du rapatriement de la dépouille de mon grand-oncle de Syrie et de son inhumation dans le caveau familial au cimetière St-Pierre à Marseille, a selon moi parfaitement résumé les sentiments qui animaient les résistants de la première heure :
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Le discours du 15 octobre 1954 de Mr de Villedeuil
SON SOUVENIR DEMEURE
Post-scriptum : j’adresse mes sincères remerciements au président des officiers de l’Académie Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, le LCL Christophe Dumont, pour m’avoir offert l’opportunité d’écrire la courte biographie de mon grand-oncle Jacques Linale.
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Chasseur parachutiste Jacques Linale
1ère compagnie de chasseurs parachutistes (1ère CCP FAFL)
(30 juillet 1922 – 22 octobre 1941)