VALENTIN Léon, Alfred, Nicolas

alias Léo

Léo Valentin naît le 22 mars 1919 au n°7 de la rue Dorget à Épinal, Vosges.

Il n’a que dix ans et est déjà passionné par tout ce qui vole. Du grand parc qui entoure sa maison d’Épinal, il admire le vol des oiseaux. Ce spectacle est la seule chose qui peut calmer ce garçon turbulent.
Passant son temps à rôder autour de l’aérodrome de Dogneville, il considère les pilotes comme des « Dieux, des chevaliers de l’air, des héros invincibles. Je volerais, maintenant j’en étais sûr. »(1)

À seize ans, titulaire du brevet élémentaire, il quitte l’école et suit les cours d’aviation populaire donnés à l’aéroclub vosgien.
En 1938, il devance l’appel et embarque pour l’Afrique du Nord.

ENGAGEMENT DANS L’ARMÉE DE L’AIR

Au printemps 1938, Léo Valentin se trouve à Blida, en Algérie.
Au bout de quelques mois, il est nommé caporal et renonce à son projet de devenir pilote ; il se sent incapable de suivre les trois ans de formation nécessaires à l’obtention du brevet. C’est trop long pour l’impatient qu’il est.

L’état-major fait savoir que le centre de Maison-Blanche à Alger demande des volontaires parachutistes. Léo Valentin n’hésite pas une seconde. C’est l’étonnement général.
Le colonel, s’adressant au capitaine et à l’adjudant laisse échapper :
"Il est cinglé ce garçon !"(2)
Mais la décision est prise, Léo ne veut pas laisser passer cette chance et reste sourd au commentaires de ses copains qui veulent le dissuader et le décourager :
"Malade", "Cinglé", "Siphonné", "Après tout si tu veux te tuer !", "Faut pas discuter avec les fous !".(3)
Léo Valentin n’avait pas envie de se tuer, il voulait voler c’est tout et peu importe qu’on le considère comme un détraqué ou une tête brulée.

LE PREMIER SAUT

À Baraki, des hommes de tous horizons arrivent : des cavaliers, des fantassins, des tirailleurs ou des légionnaires. Ils ont vite l’impression d’être des cobayes ou des pionniers. Les moniteurs n’ont pour la plupart qu’une vingtaine de sauts à leur actif.
Les accidents souvent mortels sont nombreux.

Après un entraînement plutôt succinct, Léo Valentin effectue son premier saut le 15 octobre 1938.
Deux jours auparavant, il a assisté à la chute et à la mort de l’un de ses camarades, dont les deux parachutes se sont mis en torche. Il en cherche la cause et trouve la parade par la suite.
Son premier saut, il s’en rappellera toute sa vie.
La peur au ventre, en position devant la porte de l’avion, Léo Valentin reçoit une grande tape dans le dos :
"Projeté dans la lumière, j’avais sauté. Suspendu entre ciel et terre, j’avais goûté au bonheur dont la poursuite et la possession allait remplir toute ma vie. Je tenais ma drogue. Elle aussi me tenait."(4)

LA GUERRE

Les parachutistes français sont transformés en chasseurs alpins pour un temps avant de reprendre à Montélimar leur entraînement spécifique.

À la signature de l’Armistice fin juin 1940, Léo Valentin se trouve à la frontière pyrénéenne et ne se résigne pas à rester inactif.
Quelques mois plus tard, grâce à une filière bien organisée, il réussit à gagner l’Afrique du Nord en s’évadant par l’Espagne.

À Fez, venait de s’ouvrir la première école de parachutisme. Il est nommé sergent instructeur avec 80 sauts à son actif.
En 1941, les accidents sont toujours aussi nombreux en raison des techniques de saut et du matériel défectueux. Le premier mois, on enregistre une chute mortelle par semaine.

Mais la vie dans le camp est monotone. Tous les hommes ont envie de passer à l’action. Les disputes entre gaullistes et giraudistes sont fréquentes. Pour Léo Valentin, il est temps de partir.
Fin 1942, avec quelques camarades, il réussit à embarquer sur un transport de troupes qui lui permet d’arriver à Liverpool quelques jours plus tard.

LE SPECIAL AIR SERVICE

Le groupe de volontaires est transféré dans un camp d’entraînement en Écosse, près de Glasgow.
Il y a là deux bataillons de 450 hommes, chacun du "Special Air Service" : les SAS.
Léo Valentin y retrouve nombre d’anciens camarades de France ou d’Afrique.
"Ils avaient l’air d’en baver. Apparemment les grandes vacances étaient finies. Ici, on vivait dans la guerre, la vraie, celle qui n’est jamais drôle."(5)
Discipline anglaise très stricte, entraînement intensif, pas question de prendre en compte le capital saut de chacun, tout le monde redémarre à zéro et on saute sans parachute ventral de secours. « Sergent ou pas, moniteur ou pas, il fallait tout reprendre comme un débutant. Ce que je fis comme les autres ; en râlant comme les autres. »(6)
Tir, cross-combat, sabotage, radio, secourisme, marches forcées, actions commando, est le quotidien des futurs SAS.

Pour l’état-major anglais, le parachute n’est qu’un moyen de transport pour déposer des combattants à un point donné du théâtre des opérations.
Cela change complètement l’optique du parachutiste sportif qu’est Léo Valentin.

Même si l’encadrement britannique a une discipline très stricte à l’entraînement, Léo Valentin conservera de très bons souvenirs de camaraderie et d’esprit d’équipe.
Malgré le dur entraînement, les hommes partagent aussi des moments agréables.
Léo Valentin se souvient "d’un jour où un groupe reçut pour mission de faire sauter un vieux pont désaffecté. Pour se faire la main, en quelque sorte. Nos lascars avisant un pont qui montrait des signes évidents de décrépitude, le firent proprement voler en éclats. Satisfaits, mission accomplie ! Ils revinrent à la base, l’âme en paix...
La véritable explosion eut lieu le lendemain matin, quand on apprit que les gars s’étaient trompés d’objectif : ils avaient réduit en miettes un pont des plus vénérables, classé monument historique !"
(7)

Les SAS sont surentraînés et prêts au combat.
Léo Valentin écrit :
"Intégrés à la communauté par un esprit de corps très cultivé, préparés aux missions les plus complexes, les volontaires des SAS formaient un corps d’élite dont l’action allait se révéler décisive dans les combats pour la libération du pays."(8)
Quelques jours plus tard, le Débarquement sur les côtes françaises allait avoir lieu.

LE TEMPS DE L’ACTION SUR LE SOL FRANÇAIS

Le 1er juin 1944, sous la stricte surveillance des M.P (police militaire), les SAS sont au secret dans un camp au sud de l’Angleterre.
Le 5 juin, ils sont prévenus par l’état-major Air Borne que le débarquement sur les côtes de France aura lieu le lendemain matin à l’aube. Le soir même, les premiers sticks SAS sont parachutés en Bretagne.
Ils sont les premiers à toucher le sol de France.

OPERATION DINGSON

Le 9 juin 1944, à 1h09 du matin, le stick de Léo Valentin est parachuté dans le Morbihan, à 30 kilomètres de la côte. Il a pour mission immédiate de faire sauter la voie ferrée Vannes-Rennes. Il doit ensuite rejoindre le plateau de Saint-Marcel où un quart du bataillon se trouve rassemblé avec 1500 résistants bretons.

Du matériel tombe du ciel, en particulier les fameuses jeeps SAS équipées d’une mitrailleuse jumelée à l’avant, simple à l’arrière et d’un fusil mitrailleur.
"Les jours et les nuits se passent en raids visant à désorganiser et à démoraliser l’ennemi. Nous étions partout à la fois, faisant peser sur les convois allemands un menace incessante. Dans ces jours de fièvre, la confusion était incroyable."(9)

Malgré la difficulté des missions, certaines situations redonnent le sourire à tout le groupe.
Léo Valentin raconte :
"Un jour que nous roulions en jeep, nous aperçûmes un soldat allemand qui pédalait paisiblement sur le bord de la route. En approchant, nous vîmes que c’était un vieux bonhomme qui n’avait rien à envier à son vélo, dont il portait les pneus crevés autour du cou. Arrivés à sa hauteur, nous lui demandâmes :
- Alors, ton vélo ?
- Kaput ! répondit-il sans marquer la moindre émotion.
- Et ton fusil ?
- Kaput !
- Et Hitler ?
- Kaput ! fit-il d’air air dégoûté.
Nous le désarmâmes et le laissâmes aller."
(10)

Après la bataille de Saint Marcel, Léo Valentin et ses camarades entrent dans Vannes qui se libérait.
Après quelques jours de repos, les SAS sont prêts pour leur prochaine mission.
Léo Valentin est envoyé en Angleterre pour en ramener du matériel et retrouve ses hommes à la fin août 1944. C’est à bord de jeeps qu’ils quittent Vannes en direction du sud de la Loire.

OPERATION SPENSER

Dans la poche de la Loire où ils ont été envoyés, les SAS ont pour mission de causer le plus de pertes possible chez l’ennemi, de procéder au harcèlement de toutes les unités et convois allemands, le but étant de retarder leur avancée et d’occasionner le maximum de dégâts.

Au cours d’un engagement contre des SS, le 6 septembre 1944, Léo Valentin est gravement blessé. Son bras droit est déchiqueté par une balle explosive. Il est conduit par un FFI jusqu’à la ville d’Issoudun occupée par l’ennemi. Il reste caché plusieurs heures dans une maison de la ville avant d’être transporté clandestinement à l’hôpital. Le médecin qui le soigne évite de justesse l’amputation et sauve son bras.
En convalescence dans la Marne au moment de la grande offensive allemande des Ardennes, il fait tout son possible pour participer aux opérations avec ses camarades SAS. Son bras n’étant pas complètement guéri, on ne lui en donne pas l’autorisation et c’est en Angleterre qu’il achève sa convalescence.

La capitulation des Forces allemandes le 8 mai 1945 met un point final à la guerre. À 26 ans, Léo est décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre.
Une autre grande aventure va commencer pour lui.

L’APRÈS-GUERRE

Le parachute était devenu une arme qui avait conquis ses galons sur tous les champs de bataille. L’armée offrait une carrière à l’adjudant Valentin. Il est nommé instructeur à l’École de parachutisme militaire de Lannion créée le 1er avril 1945 qui sera par la suite transférée à Pau.

En 1947, il met au point une nouvelle technique de saut pour éviter les vrilles. C’est la "POSITION VALENTIN". Le principal changement qu’elle apporte est de permettre au parachutiste de maîtriser sa descente et non plus de la subir passivement.

En février 1948, il réussit une chute libre sans inhalateur de 81 secondes, battant le record du colonel Sauvagnac. Cet exploit ne fut pas homologué.

Le 23 mars 1948, un Halifax, bombardier lourd utilisé pour bombarder la Ruhr pendant la guerre, décolle de Bordeaux pour atteindre l’altitude de 7260 mètres.
La trappe ouverte, Léo Valentin s’élance dans le vide, bras au corps , jambes jointes, emporté comme un fétu de paille dans les remous de l’appareil. L’avion est déjà loin lorsqu’il réussit à prendre sa position, bien à plat, couché dans l’air. À 600 mètres du sol, il déclenche l’ouverture du dorsal.
6 km 500 de chute libre sans inhalateur : record du monde établi et homologué !

En novembre 1948, il saute de nuit d’un Junker qui plafonne à 5200 mètres et fait une chute libre de 85 secondes, s’emparant ainsi d’un second record mondial de chute libre sans inhalateur. Ayant heurté un arbre à l’atterrissage, il gît assommé au fond d’un ravin. Il reprend ses sens longtemps après et rejoint le terrain par ses propres moyens, sans que les officiels se soient souciés de son sort.

RETOUR À LA VIE CIVILE

Après dix ans passés au service de l’armée, il décide de faire du parachutisme son métier. Commence alors une série de meetings aériens.
C’est à partir de 1954 qu’il est surnommé « l’homme-oiseau ». Il a mis au point un système qui lui permet de voler. Il réussi à planer sur quelques kilomètres grâce à des ailes en bois.

En 1955, Léo Valentin effectue le premier saut en couplé avec Monique Laroche, l’unique femme à avoir pu intégrer la demi-brigade parachutiste SAS. Avec Pierre LARD, son ancien camarade SAS, il effectue également un bon nombre de sauts couplés.

Le 21 mai 1956, il participe à un meeting aérien à Liverpool, au Royaume-Uni.
Avant de partir, il confie à son entourage :
"C’est mon dernier saut. Ce sera le sept-cent unième."(11)
Lorsque la porte du Dakota s’ouvre, il recule. Le vent est très violent. Malgré les mauvaises conditions météo, il saute dans le vide à 16h18.
L’aile rigide qui doit lui permettre de planer heurte l’avion. Déséquilibré, il est aspiré par le vide et descend à une vitesse effrayante en tournoyant. Il tente de déployer son parachute dorsal mais celui-ci se met en torche. Il ouvre ensuite son ventral qui se met en torche à son tour.
Léo Valentin va s’écraser au sol à plus de 200 kilomètres à l’heure.

Son corps arrive par avion sur la base aérienne 116 à Luxeuil-Saint-Sauveur où les honneurs militaires lui sont rendus. Le 3 mai 1956, il reçoit un ultime hommage en l’église Saint-Sauveur.

Léo Valentin, figure mondiale du parachutisme, un des précurseurs du deltaplane et du wingsuit, est entré dans la légende des grands pionniers du 20e siècle.
Il repose au cimetière de Saint-Sauveur, en Haute-Saône.

Notes :
1,2,3,4,5,6,7,8,9,10,11 : Léo Valentin "Homme-oiseau".

Publiée le , par CH11, mise à jour

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Portfolio

"LA POSITION VALENTIN"
1947, mise au point par Léo Valentin de la technique de saut dite "position Valentin" encore enseignée actuellement dans les écoles des troupes aéroportées.
Photo© Léo Valentin, HOMME OISEAU, SHAT, 1954
L’HOMME-OISEAU
Léo Valentin a mis au point un système lui permettant de planer grâce à des ailes rigides.
Photo©The bird man
Léo Valentin, à la "UNE" de Paris Match
L’HOMME-OISEAU A PERDU SES AILES
Article de presse datant de 1956 annonçant la mort de Léo Valentin.

Sources - Liens

Service historique de la Défense, GR 16P 582712
Photo© Collection Jean-Claude Jolly
Léo Valentin, HOMME-OISEAU, SHAT 1954, Editions de Paris
https://www.aerosteles.net/stelefr-stsauveur-valentin
http://www.st-sauveur.fr/?p=397
http://www.janinetissot.fdaf.org/jt_valentin.htm