JOSEPHINE B
Du 12 mai au 6 juin 1941 - Mimizan (40) et Pessac (33)
Après la déroute alliée de mai 1940, le rembarquement catastrophique des troupes britanniques à Dunkerque, la bataille pour la suprématie aérienne (Battle of Britain) gagnée de justesse, la survie de l’Angleterre à l’automne 1940 ne dépendait plus que de sa capacité à s’approvisionner par voie maritime, alors qu’elle perdait chaque jour des dizaines de navires marchands coulés par les sous-marins allemands et italiens.
OBJECTIF DE LA MISSION
Dans ce contexte de guerre maritime, Bordeaux abrite sur l’aérodrome de Mérignac les redoutables avions de patrouille maritime à long rayon d’action, les Focke-Wulf Fw 200 Condor. Ceux-ci renseignent la Kriegsmarine sur l’emplacement des convois alliés dans l’Atlantique. Bordeaux qui abrite dès 1940 la flotte des sous-marins italiens (les Uboot allemands les remplaceront plus tard).
Il faut donc monter une mission sur ces objectifs.
Il est demandé aux Britanniques du Special Operations Executiveou SOE de monter une opération. Mais Bordeaux est loin des côtes britanniques. Il est donc demandé aux Français du Bureau Central de Renseignements et d’Actionou BCRA) dirigé par le Colonel André Dewavrin de mettre sur pied cette mission.
Toutefois les Britanniques ne font pas tout de suite confiance au BCRA, pas plus qu’ils ne font confiance aux forces françaises libres naissantes du général de Gaulle.
Pour détruire la sous-station de Pessac ils envoient tout d’abord un commando composé de parachutistes Polonais. Mais cette opération, baptisée Josephine A, sera un échec, le matériel de largage ayant dysfonctionné.
Ce n’est que suite à la première mission de la 1re Compagnie de l’Air en Bretagne (mission Savannah), que le capitaine Bergé ayant pris l’initiative de descendre sur Mimizan prendre du renseignement auprès de sa famille. Dans la nuit du 22 au 23 mars 1941, il retrouve son père François Bergé et décide d’y organiser un petit groupe qui pourrait aider les parachutistes alliés en mission, récupérer les pilotes tombés, recevoir et cacher des armes, donner des renseignements sur les occupants.
Rentré en Angleterre, le capitaine Bergé rend compte de sa mission et précise la création d’un réseau d’accueil. Il dépeint aussi la topographie de la région : immense forêt, proximité de la mer, des lacs, bien visible par nuit de lune, donc favorable aux parachutages.
Il rédige un long rapport en français qui sera transmis au BCRA, puis au SOE, qui aboutira enfin sur le bureau de Winston Churchill.
L’objectif n’est ni les avions de patrouille maritime, ni les sous-marins italiens mais les deux en même temps vie une destruction de la sous-station du transformateur électrique de Pessac (Bordeaux). Ces transformateurs délivraient le courant électrique à la base sous-marine du Bacalan et également à l’aérodrome de Mérignac.
Churchill, enthousiasmé, donnera aussitôt son accord au projet d’une nouvelle opération sur Pessac, désormais baptisée Josephine B, qui s’appuiera sur le groupe de résistants de Mimizan (lieu que Winston Churchill connaît bien pour y avoir passé plusieurs séjours dans les années 30, à Woolsack chez le duc de Westminster).
LA MISSION
Dans la nuit du 11 au 12 mai 1941 le commando des parachutistes de la 1re Compagnie d’Infanterie de l’Air envoyé par le SOE touche terre près de l’Estaleut (à proximité de l’actuel aérodrome de Mimizan). Il est composé de trois saboteurs qui sont : l’adjudant Jean Forman, les sergents André Varnier et Raymond Cabard. Deux containers de 30 à 40 kilos d’explosifs et d’armes les accompagnent.
Le transport des hommes et du matériel vers Pessac est effectué à dos de mules à travers la forêt puis sur la camionnette au gazogène du commerçant résistant Renaud Pierre que conduit ce soir-là René Labat. Malheureusement, à Cestas (soit à 8 km de l’objectif), la camionnette tombe en panne (cas fréquent). Consternation du groupe. Enfin, après avoir fureté aux alentours, deux brouettes sont trouvées "piquées dans une ferme", le reste du voyage se fait en se relayant aux brancards.
Arrivés sur place les trois membres du commando constatent que la sous-station est entourée d’une haute clôture parcourue en son sommet par une ligne à haute tension, donc infranchissable en l’état. Ils décident d’enterrer le matériel à proximité et de se séparer. Varnier et Cabard retournent sur Mimizan (chez François Bergé), tandis que Forman se charge de retrouver Joël le Tac, hébergé à Paris chez sa sœur depuis la mission Savannah.
S’appuyant sur des contacts sûrs à Bordeaux, Le Tac réunit toute l’équipe, les logeant soit à l’hôtel, soit chez des particuliers. Par ses contacts il se fait prêter des bicyclettes ce qui leur permet d’effectuer ensemble, le 4 juin 1941, une nouvelle reconnaissance de l’objectif à Pessac. Cabard s’aventure même jusqu’à aller interroger le gardien de la sous-station, ce qui lui permet de récupérer d’utiles informations sur les allées et venues des patrouilles allemandes.
Le commando revient sur place le surlendemain à la tombée de la nuit, équipé cette fois-ci d’une échelle démontable qui permet de franchir la clôture sans toucher la ligne à haute tension. Ils déterrent le matériel de sabotage, le reconditionnent et le transportent jusqu’à la sous-station. Forman escalade l’échelle, parvient à se glisser sans dommage sous les câbles à haute tension et saute dans la cour intérieure. De là il ouvre la porte d’accès et laisse passer ses camarades chargés d’explosifs et de détonateurs. En une demi-heure tout le matériel de sabotage est mis en place. La mise à feu est aussitôt enclenchée, réglée sur 10 mn. Les quatre membres du commando SAS ont à peine le temps de s’enfuir à toute allure sur leurs bicyclettes que les explosions surviennent. Ils regagneront néanmoins sans encombre leurs planques respectives dans le centre de Bordeaux. Mieux encore, dès le lendemain ils prendront l’autobus jusqu’à Mont-de-Marsan, d’où ils passeront en zone libre.
BILAN
Au-delà de ses résultats « militaires » l’opération Joséphine B aura eu des conséquences politiques en Angleterre méconnues en France. Le SOE critiqué de toutes parts par des services britanniques rivaux antérieurs (MI6) et même menacé de disparition, se voit définitivement conforté dans ses missions. La légitimité du général de Gaulle vis-à-vis des Britanniques en est sensiblement améliorée, ceux-ci comprenant enfin que, pour le renseignement et pour les opérations spéciales en France, le BCRA est incontournable. A partir de Joséphine B le duo SOE-BCRA mettra en place un gigantesque dispositif de soutien et de coordination de la Résistance en France qui, à la fin de la guerre forcera l’admiration des généraux américains et du Président Eisenhower lui-même. Et pour finir les parachutistes français du capitaine Bergé écriront là leurs premières lettres de noblesse.